Vous l’avez peut-être déjà vu, il était au Mondial de l’Auto de Paris cette année, lunettes oranges, chemise noire, pantalon noir et chaussures oranges.

Il dessine admirablement bien, Il est Français, Il a 23 ans, Il fait du body et Il est designer. Jérémy Lemercier, c’est la nouvelle coqueluche de la presse française pour ces raisons.

J’ai récemment découvert le phénomène grâce à la couverture médiatique relativement importante dont il dispose (pour un gars qui a pas un sous en poche, c’est assez fort !).

Le 12 novembre, il participait à un Workshop à la FleetExpo de Luxembourg. C’était l’occasion de découvrir ce qui se cachait derrière ces fameuses lunettes oranges.

L’homme : la tragédie grecque 2.0

Je n’ai pas dû chercher bien loin sur Google pour obtenir des infos sur Jérémy Lemercier. Il y a ce fil rouge qui revient dans toutes ces interviews : Jérémy Lemercier, c’est la tragédie grecque 2.0. L’homme incompris de tous, la tête de turc depuis l’enfance, le garçon au talent de dessinateur qui, un jour, décide de prendre sa vie en main et de mettre fin aux moqueries. Plus encore, de se forger un caractère d’acier qui puise son énergie et sa force dans cette enfance mal vécue. Il grandit, n’aime pas l’école, car les écoles ne le comprennent pas. Il postule dans les plus prestigieuses qui lui disent « Jérémy, stop. Arrête là tout de suite ou tu vas te planter ». Mais, il se nourrit de ces échecs, crée sa marque automobile, crée un logo et en quelques années sort trois concept cars sur lesquels nous reviendrons.

Et ce caractère d’acier, il l’exploite à 100%. Il gratte (comme il dit) partout où il peut pour obtenir la moindre interview, la moindre seconde à la TV ou à la radio, le moindre entretien avec tel ou tel PDG et ça paie. C’est cette détermination qui l’amène là où il veut aller et à la vue des reproductions crayonnées qu’il fait, on peut comprendre pourquoi il a tant foi en lui. Le talent est bien présent…

 

Un ego « spécial »

Au delà de ce talent indéniable se cache un personnage relativement particulier. De Jean-Pierre Coffe à Steve Jobs en passant par Philippe Reynaert, Jérémy Lemercier assume un style reconnaissable et une volontée affirmée, et confirmée par lui-même, de différenciation.
Il veut qu’on se souvienne de lui. Et pour comprendre sa vision automobile, il faut comprendre le personnage.

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Designer autodidacte ou autoproclamé, c’est selon, Lemercier est un peu le Mickael Vendetta de la nouvelle génération automobile. Photos de mode, narcissisme assumé, assurance presque arrogante, c’est quelqu’un qui semble s’aimer énormément et qui n’hésite pas à faire passer son branding personnel avant l’image de sa marque. Un sacrifice de crédibilité ?

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Mais après ces quelques mots, vous pouvez également découvrir le personnage dans une vidéo aux relents putrides de télé-réalité et de quête de célébrité. Une vidéo qui commence par un « Bonjour Messieurs », parce que les femmes ça sert à rien et finit, magistralement, sur une comparaison de front avec Alfieri Maserati, Enzo Ferrari et Ferruccio Lamborghini, les trois… en même temps.

La vision Jérémy Lemercier

A ce jour, 3 concepts cars sont sortis de son imagination.

Le premier est nommé « Intuition« .

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Lemercier l’affirme, son truc, c’est les véhicules futuristes et « ceux qu’on a pas l’habitude de voir ». Et celui-ci ne va pas le contredire.

C’est abouti. La création est qualitative et pour une première ébauche on peut dire que c’est une belle entrée en matière.
Mais au delà du dessin, ce premier concept annonce déjà les limites de la réflexion automobile de Lemercier.
Comment cette voiture fonctionnerait-elle ? Comment l’utiliserait-on ? Quels sont les aspects techniques et pratiques ?
Il y a une quantité infinie de questions qui sont générées à la vue de ce projet mais aucune réponse, aucune justification n’est donnée sur ces choix parce qu’il n’y en a tout simplement pas. Par définition, cette Lemercier Intuition est donc davantage un dessin qu’un réel concept. Même si elle verra néanmoins la lumière en tant que maquette.

La seconde est la Lemercier « Révélation »

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Un concept moins radicale et qui rend même plutôt bien. C’est pas sobre, mais c’est plus sobre et ça se rapproche de ce qu’on pourrait éventuellement voir sur nos routes dans les prochaines années (n’en déplaise à son créateur qui rappelons-le est un apôtre de la différenciation).

Ce second concept procure une nouvelle vague de visibilité à son créateur qui va le présenter aux plus grands du secteur comme Thierry Metroz, Filippo Perini, Gilles Vidal.

C’est anguleux, futuriste, unique. C’est, selon moi, son concept le plus mature, le plus abouti et qui paraît être techniquement réalisable.
Mais apparemment, toujours pas d’investisseurs pour Lemercier et la création d’un troisième concept est mise en route.

La Lemercier « Révolution » :

D’Intuition à Révélation nous en sommes maintenant au stade supérieur et déjà à celui de la Révolution, troisième concept de Lemercier. C’est plus grand, plus gros, plus agressif, mais malheureusement… c’est aussi plus moche. Si la face avant est relativement cohérente, très agressive et inclut ce qui semble être une réflexion sur l’aérodynamisme du véhicule, comment qualifier la face arrière ? Zorg de Toy Story 2 sait.

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Globalement, ce n’est pas la seule critique qu’on pourrait potentiellement lui faire.
Issu du site officiel : « Lemercier insuffle un renouveau en créant des designs hors du temps, dans un monde ou toutes les voitures se ressemblent ».

Et malheureusement, cette Lemercier n’y échappe pas. La rencontre avec Filippo Perini a peut-être été un peu trop influençante ? Qui sait.

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Disons-le sèchement, si le concept « Révélation » était très intéressant esthétiquement, cette « Révolution » a pris le contre-pied.

Conclusion et citations

Après ces recherches et un échange durant ce Workshop de la FleetExpo du 12 novembre, voici ce que je retiendrai de Jérémy Lemercier :

« Vous savez, les riches ils s’en foutent de l’intérieur d’une voiture. Ce qu’ils veulent c’est un beau design et de la puissance »

Lemercier n’a, dans aucun de ces projets, réaliser d’ébauche d’habitacle. Cela fait partie de sa vision de l’automobile, l’habitacle « les gens s’en foutent », ce sont ses mots et à peu près ceux de quelqu’un qui a trop jouer à Gran Turismo. Les voitures Lemercier sont typiquement le reflet, l’extension virtuelle de la vision qu’il a de sa propre personne. Il est comme ses voitures, très réfléchi sur l’extérieur et pas toujours réussi mais vide à l’intérieur. C’est le gars qui te vendrait une poupée gonflable en disant que c’est la femme la plus belle et la plus intelligente au monde.

« J’espère simplement qu’un Dubaïote, un Qatari ou un Russe craque sur mon modèle et me donne les moyens d’en produire un »

Parce que, si t’as pas un rond, t’es nul.

« Bugatti, c’est pas Français, c’était tous des Italiens« 

Ca, c’est lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de Bugatti, la marque automobile française (groupe Volkswagen) de prestige par excellence, qui est l’un des plus gros flops économiques de la dernière décennie et qui représente à peu près la réalisation même de ses prétentions.

« Le succès est composé à 95% d’échecs »

Le Lemercier’s way of life et la conviction intime de parvenir à ses fins. Une volonté impressionnante mais hermétique au monde réel.

« Un V12 hybride de 800 chevaux« 

C’est la réponse à la question de la motorisation. Comme si c’était aussi simple de faire un V12 de 800 chevaux que de démouler un cake. 12 cylindres, pourquoi ? 800 chevaux, pourquoi ? On ne saura jamais. Quant à l’hybride, c’est futuriste et Jérémy il aime bien les choses futuristes.

*

Ma conclusion est que Jérémy Lemercier n’est pas un designer. C’est un dessinateur qui vit dans un monde appart où il se veut être le designer que personne ne peut arrêter. Une énigme psycho-sociologique encensée par la presse à l’instar d’un Mickael Vendetta ou d’une Nabilla… Sans s’en rendre compte et en visant si haut, beaucoup trop haut, il gâche pleinement un talent de dessinateur acquis et indéniable. Un talentueux dessinateur donc, détaché du monde réel, à la volonté de fer mais à l’ignorance d’acier.

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